Source: Photo envoyée par Michel LEROY (56-60). D' après Michel LEROY, ces cartes postales étaient en vente à la coopé. Date: Selon Pierre LAMPIN, "Ces photos pourraient avoir été prises entre 1945 et 1954." Lieu : ENG d'Arras, rue des carabiniers d'Artois Sujet: Le réfectoire de l'EN Pierre LAMPIN (54-58): Souvenirs de reftag. "Le reftag". C’est ainsi que certains d’entre nous désignaient le réfectoire de l' ENG d' Arras dans les années 50/60. Notre promo (54/58) connut encore les antiques tables de l' ENG. Celles-ci étaient constituées d’une dalle de marbre monolithe reposant sur un impressionnant assemblage métallique riveté digne d’un pavillon Baltar D’aucuns insinuaient que l' ENG ayant servi d’hôpital pendant la seconde guerre mondiale elles avaient pu être utilisées comme table d’opération... voire pire! Lorsque nos sympathiques serveuses y déposaient quelque plat de viande, la sauce dans laquelle baignaient les morceaux de boeuf se figeait presque instantanément sous nos yeux. Mais il n' y avait pas là de quoi nous couper l’appétit. Chaque table (de 12 convives) comportait un mélange des trois premières années car les élèves-maîtres de 4e année (les "fonctionnaires") ont toujours constitué une population à part. Je dis "mélange" à tort car la ségrégation était de mise. Le plan de table suivait l’ordre hiérarchique strict de l’ancienneté avec les mulets en bout de table. Autant dire que ceux-ci devaient se contenter de ce que voulaient bien leur laisser le "haut de table", c’est à dire la portion congrue. La qualité première du mulet était sa docilité. Ainsi se devait-il de cirer les pompes des Anciens, leur faire leur lit ou plier leurs couvertures sous le prétexte fallacieux que ceux-ci avaient n’avaient pas de temps à perdre, ayant le "bac" à préparer. Il arrivait parfois qu’un mulet récalcitrant fasse preuve "d’arrogance", crime impardonnable. Il était alors bon pour une journée ou une semaine de "table disciplinaire". La "table disciplinaire" rassemblait plusieurs Anciens à l’esprit obtus et à l’appétit particulièrement vorace. Inutile d’en attendre la moindre compassion. Votre repas se trouvait réduit à quelques minuscules reliefs. Le pain (facilement accessible) devenait votre aliment de base durant ces tristes journées. Au "reftag", tout légume s’éloignant de notre féculent roboratif préféré (la pomme de terre) était considéré avec méfiance. Notre "économe", M. Stadtbaeder, avait toutefois réussi à nous faire accepter la choucroute du mardi en la faisant compléter adroitement de moult patates. L’un de ses successeurs (M. Ferré), moins diplomate, voulut un jour nous faire servir un plat de lentilles. Celui-ci fut déclaré immangeable et tout le réfectoire, comme un seul homme déversa les plats de lentilles sur le sol. Nous sortîmes du local en pataugeant dans une infâme purée de lentilles avec la satisfaction d’une injustice réparée. L’entrée des normaliens dans le réfectoire était un moment particulièrement éprouvant pour le pion nouvellement nommé. On citait souvent le cas de l’un d’eux (M. Réant) qui s’était rué dans le bureau du directeur pour y déposer sur le champ sa démission le jour de son premier "service de réfectoire". Baduc eut, paraît-il, beaucoup de mal à le faire changer d’avis: il refusait obstinément de continuer à travailler "chez des sauvages". Imaginez en effet ces dizaines et dizaines de normaliens qui venaient s’agglutiner peu à peu derrière les grandes portes vitrés que vous aviez ordre de maintenir fermées en attendant que les serveuses aient terminé leur travail. La foule grossissait, grossissait, étaient parcourue de mouvements divers, de poussées incontrôlables. Les huisseries ployaient, gémissaient. Des nez et des oreilles venaient s’écraser contre les vitres qui menaçaient à tout instant d’exploser. Enfin, Jeannette vous faisait un signe: On pouvait ouvrir la porte. Impossible de bondir à temps sur la côté au moment de l’ouverture! Il vous fallait rester là, debout, stoïque au milieu du flot déferlant. Et à chaque fois le même miracle se reproduisait: vous sortiez physiquement à peu près indemne de l’épreuve. L’entrée au petit déjeuner était beaucoup plus calme car les portes y étaient d’avance grandes ouvertes. Les tables étaient déjà garnies du panier de pain et des tablettes de beurre. Les serveuses nous apportaient les pots de café au lait au fur et à mesure de notre arrivée. Certains d’entre nous passaient auparavant par le local du sous-sol où se trouvaient les "boites à provisions" pour y prendre la confiture ou le petit morceau de pâté ramené de la "grande sortie" précédente. Le dimanche on avait droit au chocolat. Les derniers arrivés de la tablée se devaient d’examiner le fond de chocolat avec circonspection et déclarer y discerner clairement la dose de bromure que l’économe y avait fait ajouter pour calmer nos "ardeurs". Lorsque Filasse et moi sommes devenus pions, nous avons un beau soir interrogé "entre quatre z' yeux" M. Mazel à ce sujet. M. Mazel était sous-intendant et avait déjà pas mal roulé sa bosse dans différentes EN de France. Pouvait-il enfin nous révéler la vérité à ce sujet? La main sur la coeur M. Mazel nous jura que cette histoire de bromure n' était qu' une légende colportée d' établissement en établissement et que jamais, au grand jamais, le moindre milligramme de bromure n' avait été introduit dans le breuvage d' une quelconque ENG! Voire... Pierre